LEROS EN COUP DE VENT

(.. ou coup de vent à Léros …)

On ne peut pas dire qu’on ait été pris par surprise. Le coup  de vent de sud-est (force-7 rafales attendues 43 noeuds), est prévu depuis plusieurs jours. A ICARIA mes voisins italiens ont préféré attendre. La descente vers LIPSOI (Lipsi) sous génois seul au portant, même  avec 25 noeuds de vent du nord,  est une balade. Contre le vent ce serait autre chose.

Celui-ci  doit passer sud  vendredi aux aurores, et nous nous dormirons en bas de LIPSOI mercredi (à l’abri du nord), pour pouvoir être au nord de LEROS (abrité du sud)  jeudi soir;  le temps de nous préparer. Sur le papier la baie de Plofouti  semble convenir.

          

(la baie voisine déjà bien pleine …                                                         … et la nôtre de loin vue d’en haut)

Sur ces photos, la veille du coup de vent, tout semble si tranquille … Mini grimpette jusqu’à un petit prieuré où une dame qui fait l’entretien me parle, dans un français impeccable appris à l’école, de la politique française, de la fin du second mandat du président Macron, de la  Grèce, de l’Europe … l’aventure est au coin de la rue! : combien connaissent en France le nom du président grec? …

Le lendemain, le vent a tourné, et je me retrouve un peu trop près d’un cata américain arrivé avant moi, alors je bouge pour jeter l’ancre de l’autre côté de la baie pendant que le vent commence à souffler.

D’ailleurs c’est peut-être un mal pour un bien : de mon petit coin je vois les ancres chasser, les bateaux chercher un autre  ancrage… mais ils ne sont pas légion les ancrages ; peu de plaques de sable, beaucoup d’herbiers sans aucune tenue… Seul c’est difficile de repérer les zones sableuses, conduire le voilier dont  le vent ’embarque’ l’étrave, obligeant à garder pas mal de vitesse, puis filer l’ancre au bon moment …

D’autant que certains font n’importe quoi avec des bateaux énormes , mouillent en avançant sans regarder ni carte ni vent ni voisinage : l’un d’eux emporte coup sur coup les ancres de deux voiliers en place depuis la veille (les deux bateaux de la photo) ..

 

…  ratissant la baie en tous sens comme un camion fou ( s’en est-il seulement rendu compte?)

On le voit arriver vers soi avec effroi et on lui fait tous de grands gestes comiques et frénétiques avec les bras!

Sur les dix-sept ou dix-huit bateaux que nous étions en début de matinée, cinq renoncent et s’en vont, et la moitié au moins doit re-mouiller deux ou trois fois.

Je me crois à l’abri car mon ancrage tient depuis des heures. Mais d’un coup  je me mets à dériver, lentement sûrement, sans raison particulière, et je passe un moment à retrouver un spot de sable qui accroche, dans 4 mètres d’eau où je file les 50 m de chaîne que j’ai en stock!

Tout ça a pris la journée. Les conditions n’étaient pas exceptionnelles, 35 noeuds peut-être. Mais la nuit tombe, le vent n’a pas vraiment faibli. Sil faut ré-ancrer cette nuit à la frontale … j’appellerai ça un drôle de cadeau d’anniversaire … (et oui!)… Je règle l’alarme de mouillage sur 30 mètres … et je vais  lire un bon moment avant d’oser aller dormir!

C’est l’alarme de mouillage qui me réveille étendu dans le carré; 35 noeuds; le mouillage qui ne dérape pas ‘mais’ … On n’est pas grand chose à deux heures tout habillé, quand hypnotisé par la trace élastique et capricieuse de son bateau sur la tablette on se demande : ça va tenir?… et si ça ne tient pas je fais quoi?…

(Bref: il y eut un matin …                            

…  et même un matin avec une petite attention de Charly, du catamaran américain Kaya (une chanson de Marley, et une actrice aussi …) pour me remercier d’avoir déplacé mon bateau et m’avoir vu galérer hier soir tard,  à la recherche d’un mouillage que je ne pourrai de toute façon pas tester avant la nuit …)

Sympa!

 

 

ICARIA – SUD / OUEST

                          N’allez pas à ICARIA!  : vous allez me l’abîmer ! Ou alors, si vous êtes obligé d’y aller, efforcez-vous de lui ressembler; prenez votre temps, laissez  à l’hôtel vos sacs fluos, votre panoplie de ‘vêtements techniques’. Soyez discret, aimable, curieux, parcourez les chemins, randonnez, baignez-vous sans glapir comme une horde d’ados … et d’ailleurs laissez vos ados à Skiatos, Corfou ou  Mykonos..

.. ils vous en remercieront.

  

(Armenistis)

   

Des îles bling-bling il y en a partout, des boîtes branchées, du Spritz et des Mojitos, des équipages qui ne quittent jamais leur cockpit … Comment la vie pourrait-elle nous surpendre si l’on promène avec soi  partout  ses certitudes de Playmobil; si l’on ne débranche pas quelque chose?

         

(entre Armenitsis et Christos)

Avec mon scooter je me suis perdu sur des pistes de terre entre Christos et Frantado,  ,, j’ai observé des tortues d’eau sur la rivière de Kastaniès avec des allemandes rencontrées au milieu de nulle part, pris une route en construction pour rejoindre celle de Kirikos, maudit ma selle (ah! Sainte Fesse!), frôlé la panne à Manganitis, raté la plage “des Seychelles”… Partout j’ai eu ce sentiment de découvrir une île neuve, belle, nature et sans affectation. Oui l’été il y a du monde me dit la patronne du salon de thé, surtout August (août); mais on en a besoin … (soupir’) …

        

Alors s’il vous plaît, si vous vous emm..bêtez s’il  n’y a rien à faire, rien à acheter, si vous ne supportez pas le silence, le noir de la nuit étoilée, allez dans un endroit qui vous ressemble. Ne consommez pas du zen si vous n’êtes pas zen, de la nature si c’est juste l’image de la nature qui vous parle, du ‘charter’ parce que c’est moins cher hors-saison, du Sahara ou de la Patagonie en groupe parce qu’on y entend le silence!!! … ( Là, le Capitaine Haddock aurait dit un  gros-mot, peut-être même deux!)

           

(Christos)

ICARIA …  Qu’elle est belle, cette île sans bruit de fond. Cette île qu’on n’a pas envie de mettre entre toutes les mains. Seulement des mains qui savent voir et qui font attention, à ne pas troubler cette paix, cet équilibre fragile. Mais je ne suis pas trop inquiet: Icaria est protégée des vents .. je veux dire par ses vents, et aussi son relief. Dame, c’est que ça souffle, et aussi que ça grimpe!

ICARIA – NORD / EST

Ces petits scooters Honda 110cc sont du tonnerre: ils ne consomment rien et ont la pêche. Je ne connais pas grand chose de plus grisant que de rouler plein pot à flan de montagne, sur une petite route grecque qu’on ne connaît pas. Le vent du nord s’est levé. Les sommets sont accrochés par une brume mobile.  Au col il fait froid et ça souffle. C’est une île comme je l’espérais, sauvage mais habitée en hauteur, très boisée; on s’attend à tout moment à traverser une châtaigneraie, mais non, ce sont des platanes à feuilles d’érable, des acacias, des pins, des chênes verts…

           

Il y a bien sûr Evdilos, un port que je voulais voir, un abri possible, barré comme Kirykos d’une immense digue en béton. Mais ici non seulement le port de pue pas, mais en plus le lieu est sympatique, familial et bon enfant. Un peu partout les gens vous saluent ou vous rendent votre salut spontanément, à l’ancienne. Pourtant – ça n’en a pas l’air – l’été c’est blindé ici comme ailleurs. Des Icariens expatriés qui y reviennent pour les vacances; des touristes qui au vu de la situation internationale privilégient une destination pacifique.

   

Je crois que dans cette île assez brute de paysage, les locaux ne sont pas mécontents qu’on vienne un peu les envahir. Mais on ne sait jamais ce que les autres pensent: par exemple lorsque je dis à la serveuse en anglais qu’elle a l’air bien ‘sérieuse’ … elle ne comprend pas “serious”. Alors je le lui traduis par un “Eisei sovari” que je crois irréprochable. Et elle se fige, la main sur le coeur, comme si je lui avais fait le plus beau compliment possible. Diable! le jour où la même tentative sera perçue comme une injure, je me dirai probablement que quand on n’est pas sûr on ferme sa ..  (    )  mais ce jour n’est pas arrivé!!

 

En rentrant, côte sud (sous le vent) les rafales sont impressionnantes,  le vent lève par moment des paquets d’embruns;  la surface se couvre de traînéees blanchâtres évoquant  un état de la mer force 7 – 8. Je veille au guidon. Je m’arrête à la hauteur de Therma Lefkados. Je descends à pied jusqu’à la plage de galets que je longe; parfois je dois escalader des rochers. Je suis allé trop loin. Ici la source chaude n’est pas sous une grotte, mais au bord, entre les cailloux.

 

 

 

La mer fume, on le voit mal sur la photo. J’irais bien dans l’eau mais au bord elle est bouillante, et plus loin il y a beaucoup de ressac. Alors je regarde la mer, magnifique autant qu’infréquentable qui me fait face, balayée par des vents catabatiques qui ne plairaient pas du tout à PONYO; on est pourtant bien  loin de ce que nous appelons communément “tempête” en français, que Google traduit par ‘kataygida’ ; aygida : auspices, kata : contre? ..

.. mais c’est sûrement moi qui fabule avec mon Googletrad !

 

DE PATMOS A ICARIA

– PATMOS :

L’étape suivante commence à Patmos où je me suis amarré provisoirement “à l’anglaise”, “longside”, “alongside”, sur le côté, tout ça est synonyme, devant un gros catamaran, les autres places étant disputées par trois bateaux de loc arrivés au sprint pour se mettre cul-à-quai sur le môle principal, dos au nord … Le vent est faible mais  de secteur sud, et va se renforcer. Je déménage en face de l’autre côté du bassin, un peu loin de la ville.

Le lendemain les rafales dépassent les 35 noeuds. L’un des bateaux de loc dérape (son ancre chasse) et emporte le mouillage des bateaux sous son vent. Un pauvre danois parfaitement amarré traverse tout le port en dérivant, une aussière entortillée autour de son hélice; un skipper belge plonge  couper le cordage, et tout le monde applaudit quand il arrive à se libérer. Ceux qui ont fait le choix de l’autre côté du port attendent comme moi que la météo s’améliore.

C’est assez souvent le cas: quand on a une place sûre au port il vaut mieux savoir patienter. Ou mouiller au-dehors tranquille.. Que devient le bateau si l’on n’est pas à bord et qu’on vous décroche votre ancre? Le 8 mai on appareille pour FOURNOI.

 

– FOURNOI :

FOURNOI (prononcer Fourni) est l’une des îles préférées des navigateurs en mer Egée Est. Ile jolie, méconnue, pas trop abîmée par l’époque, dont j’aimerais dire du bien après avoir été peu tendre avec Patmos.

Le sud a faibli. Mais il n’y a aucune place dans le port de FOURNOI, Il n’y a pas non plus de yacht de passage. Le port est plein de pêcheurs et de bateaux d’une société, ‘Axion’, dont le personnel, nombreux, se comporte en maître des lieux, ils n’ont pas loin de dix bateaux ici … J’apprendrai qu’ils promènent un congrès de ‘doctors’ d’île en île sur leurs joujous de 1500 CV !

C’est juste un mauvais jour pour visiter FOURNOI.

On se met à l’extérieur du quai avec PONYO, vent nul, prévu faible cette nuit. A peine sommes-nous amarrés, qu’un petit ferry de rien du tout arrivé au ralenti,  fait naître une série de vagues verticales qui menacent de nous jeter sur le quai en écrabouillant les défenses ou le liston et les chandeliers. Le ‘port police’ dit qu’il ne peut rien faire … mais que j’ai le droit de rester là où je suis, c’est la place la moins mauvaise; pas de ferry avant demain soir.

(à gauche 2 bateaux, 5 moteurs,  2500 CV …    

… à droite on a sorti toutes les défenses ..  Deux mondes ! )

Le matin c’est une équipe de chantier qui me rappelle que certains travaillent: d’ailleurs ils doivent intervenir juste sous l’endroit où je stationne; non ça ne peut pas attendre,” mais on peut vous déplacer”. Je n’en doute pas, mais je choisis de m’en aller. En partant je croise … le ferry de 9 heures. Peut-être que ces gars-là viennent de m’éviter un genre de dégât des eaux!!

– ICARIA – THERMA :

Bon, la poisse n’a qu’un temps, on reverra FOURNOI plus tard. J’ai envie de découvrir ICARIA. Vaste, sauvage, battue des vents, peu de ports fiables. des rabattants par vent de nord, très peu d’abris par vent de sud. .. En attendant le vent  m’y porte, pas très fort, et sous foc seul. J’ai repéré la baie de THERMA, connue pour sa grotte d’eaux chaudes en bord de plage.

 

Le vent n’a pas encore tourné. La chance si : il n’y a qu’une place dans la baie, et il n’y a aucun autre bateau en vue. Un peu plus de vent sans doute cette nuit. Mais j’irai au port voisin de KIRYKOS demain matin. Aujourd’hui c’est tourisme thermal et petits poissons (ceux qui vous grignotent les jambes). Je gonfle l’annexe, y jette une serviette et deux vêtements propres, et de nouveau le temps s’arrête

   

Et puis mes pieds m’amènent au-dessus, entre Therma et Agios Kirykos, quelques kilomètres au sud … Après la taverna … il commence à faire chaud!

           

La nuit sera agitée. La houle rentre, la baie est petite; je suis à 25 mètres de l’enrochement. “Audentes fortuna juvat”… (la fortune sourit aux audacieux). Au matin je vais mettre le bateau à Kirykos pour louer un scooter et visiter l’île d’Icaria.

 

 

PATMOS : ‘APOCALYPSE TRAVEL’

 

(‘Apocalypse Travel’ …)

   

‘Apocalypse Travel’, c’est comme ‘Rôtisserie Cathare’ ça ne s’invente pas … J’aurais pu choisir un autre titre: Patmos la très belle, Pathmos la très pieuse, Pathmos la sereine, l’historique Pathmos … Ou la très agaçante Pathmos! Alors Apocalypse …

   

L’île est pourtant d’une grâce infinie, la Chora très belle, avec des maisons habitées par des ‘locâls’, des gens d’ici. Tout respire l’harmonie, le zéro-faute-de-goût: vieux grès blonds des seuils, des linteaux, frappés de la croix de Saint Jean, dentelles aux fenêtres, volets patinés, escaliers, pavements …

Patmos  ne m’est pourtant pas vraiment sympathique,  peu  aimable, froidasse, sans générosité hors raison de business.  Une belle sans sourire.  Les portes se ferment, les regards évitent.  Même les enfants semblent avoir appris tout jeune à vous ‘invisibiliser’. Vos mots de grecs vous reviennent à la figure en anglais avec une petite moue condescendante: on vous passe le “Kaliméra” et le “Yassas” qui font partie de la panoplie du touriste, lequel n’est pas là pour aimer la Grèce ou les Grecs mais pour faire tourner un système nécessaire et rodé, rentrer chez lui globalement satisfait, et ramener d’autres touristes ..  On est hors saison pourtant, avant le stress du raz-de-marée estival.

Alors évidemment on trouve toujours des gens gentils, les grecs sont foncièrement gentils. Mais toute curiosité pour l’autre a disparu. Le touriste est d’abord un étranger à la communauté; sauf parfois quand il repasse quelque part, quand on l’a enregistré … cette gentillesse arrive à s’exprimer.

       

LA GROTTE DE LA REVELATION :

La chora  était vide hier, les lieux saints fermés, grotte et monastère.. . Saint Jean, exilé à Patmos, vécut dans cette grotte avec son jeune disciple Prochore. Il y aurait entendu la voix de Dieu puis vu Jésus ressucité; c’est aussi là qu’il aurait reçu la Révélation (= Apocalypse) directement du Christ, qu’il dictera ensuite à Prochore autour de l’an 95 après JC. Jean était un pauvre pêcheur de Bethsaïde .. savait-il seulement lire ou écrire?

Les limites de la grotte sont bien visibles. Elle est prolongée par une chapelle bâtie très ornée. La grotte suffisait à Jean. Pas à ses ouailles.

Quand un jeune noir américain pour qui cela semble important, demande à l’employé qui vend les tiquets où  avait eut lieu précisément la Révélation, le gars s’agace. Il ne sait pas, il s’en fiche, il retourne à son portable. Je reste pour profiter du lieu. C’est quand même émouvant de se dire que Saint Jean a vécu ici il y a 2000 ans.

Un peu plus tard un monsieur -un guide?- explique en anglais la tempête qui a fendu le rocher, le tonnerre, la fissure triple dans le plafond qui en a résulté. A la sortie je vais vers lui pour le remercier, mais lui aussi s’en fiche. “elle te plaît ma soeur?”.. on pense à Astérix en Corse; on pense à Jésus engueulant les marchands du Temple … Allons voir le Monastère.

LE MONASTERE DE SAINT JEAN :

 

Là non plus pas de photos, et c’est heureux, en particulier dans le musée. Entrée, cour, office, réfectoire … voilà pour la partie publique. De très belles icônes anciennes et extrêmement bien conservées. Des lieux de culte remplis de dorures, candélabres, boiseries, fresques… Mais surtout le musée!

Y sont exposés des livres très anciens, certains admirablement calligraphiés, et des peintures sur bois du XV et XVIème siècles qui ne dépareraient pas au palais des Offices à Florence: annonciations, mises au tombeau, et une mosaique aux pièces minuscules, de l’ordre du millimètre, et d’une intense expressivité. Si vous en avez l’occasion ne zappez pas cette salle!

Rien que pour ces sites passer à Patmos, qu’on soit ou non croyant, vaut la peine; je veux dire hors saison .. Car lâcher un bus dans la grotte de 20m2 d’un des Saints majeurs de la Chrétienté  ne peut être qu’une (       ) .. je ne trouve pas le mot.

D’un point de vue personnel un détail me perturbe dans tout cet art sacré: à la différence de nombre de statues de la période hellénique les représentations religieuses ne rient ni ne sourient jamais. Ne peut-on être joyeux et aimer Dieu?

 

 

LEROS : ANSE DE LAKKI ; AGIA MARINA

       

“Εγώ, σχέφτηχε ο μικρός πρίγκιπας, αν είχα πενήντα τρία λεπτά για ξόδεμα, θα πήγαινα ήσυχα ήσυχα σε μια πηγή”

“Moi, se dit le Petit Prince, si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine…”

 

La pluie a séché. Il y a un fort au-dessus d’Agia Marina, mais c’est un peu loin.  Pas grave; j’ai des chaussures et j’ai 53 minutes! L’envie, aussi … Mais ça ne fait pas tout: c’est très très lent de ne pas “faire”, de ne pas “vouloir”, de ne plus trop s’inquiéter si l’on va manger, si ça ne fera pas trop loin, si au retour ..  et patati, et patata … Le moment présent n’est pas un but. C’est un état. Avec ses frontières, ses heures heures d’ouvertures et puis ses coups de pot ou non.

On ne se rend pas compte mais d’en haut on voit plusieurs anses, distantes. Sur la photo à gauche des moulins on aperçoit celle d’où je viens, tout en haut, là où j’ai laissé PONYO, au sud de l’autre côté de l’île. La baie de droite est au nord de celle de gauche, le chateau entre les deux. En le disant comme ça j’ai l’impression de marcher sur la planète du Petit Prince. C’est un peu ça une île .. enfin .. pas l’Australie ..

 

   


       

Pas de chance le fort est fermé le vendredi. Le restaurant de droite n’ouvre que fin mai. Le bon côté c’est que le parking est désert.

En redescendant je croise un jeune homme qui vient aussi de Lakki. Un autre allumé, je me dis. Mais il n’est pas marin. Il est hollandais et il travaille pour la Frontex (frontière extérieure) :  en clair il s’occupe de la surveillance des “réfugiés” en “partenariat” avec les garde-côtes grecs. Il y a un gros camp à Lepita, la première chose qu’on aperçoit quand on rentre dans la baie de Lakki. D’après lui il y a 1000 personnes … ça me semble beaucoup est-ce qu’il ne m’a pas dit cent? Je vérifie sur internet. On parle d’un peu plus de 2000 personnes.

Ils arrivent depuis la Turquie, du côté de Farmakonisi en face de Didim. Ils essayent de passer la nuit. Il a repêché deux noyés la semaine passée, la veille, je ne sais plus. Oui ça continue, me dit-il. Je regarde la mer en bas, on aperçoit deux voiliers qui essayent de gagner vers l’Est. Dans une deuxième dimension.

 

 

     

 

LEVITHA, SUR LA ROUTE DE LEROS

Il n’y a rien sur cette île, ou presque: une taverna, une famille, des chèvres, des moutons, un seul grand champ de céréales, et des cailloux.

Pas  de radio; pas de téléphone, pas d’internet ni de blog, de météo, ni nouvelles anxiogènes du reste de la planète. Enfin ..   quand on est tout seul à bord on aime bien de temps en temps entendre aussi un peu des voix humaines.

 

   

Des kilomètres de murs surmontés de branchages, jusqu’au bord du bord de l’eau… Quelques rares portails en bois. Fermés. Mais le monsieur qui passe au bateau  relever les bouées (9 euros pour 2 nuits) me dit que je peux aller partout à condition de loqueter les barrières derrière moi … Il me le dit en anglais, pas en patois! Je pense à la campagne de chez moi. Qui parlerait  anglais couramment dans un endroit aussi paumé, aussi désert … à part un anglais, bien sûr?  Même chez les jeunes … “Et pourquoi qu’y faudrait qu’on parle anglais cheu nous?…” Je ne sais pas, moi;  à quoi bon l’apprendre à l’école pendant sept ans si c’est pour rien  ??

Des bouées, deux containers, et une splendide faucheuse italienne toute neuve, un petit tracteur à benne, et quelques bateaux . Voila. On a fait le tour. Le reste existait déjà il y a 100 ans, il y a 1000 ans.  Quant à la taverna j’y serais bien allé mais tout le monde autour a mis son annexe à l’eau en même temps à 18h30… alors  l’envie m’en est soudainement passée!

 

LEVITHA – LA MAREE (INTERLUDE)

“…  Un monocoque arrivé juste après le coucher du soleil n’a pas trouvé de bouée disponible et a essayé de s’amarrer à la petite jetée. Il s’est retrouvé coincé sur des rochers et du sable. Il a pu repartir quelques heures plus tard à marée haute.”...  (commentaires sur Navily juin 2024)

Sans nier l’existence du phénomène de marée en Méditerranée, je ne l’ai pas constaté à cet endroit, au contraire de notre ami navigateur belge. J’avais prévu de rédiger un post sur ce même Navily (site d’avis sur les mouillages) à ce propos, mais j’ai eu peur d’être accusé de faire du mauvais esprit…

Pourtant ces trois photos très parlantes prises avant d’arriver ne laissent planer aucun doute sur le sujet. On y observe très bien …

… que sur la photo-1 la mer monte, que sur la photo-2 on est à l’étale de pleine mer, et que sur la photo-3 la mer redescend.

Un petit schéma vaut mieux qu’un long discours.

     

AMORGOS : HOZOVIOTISSA, EGIALI ET LE NORD

HOZOVIOTISSA :

    

Cette fois tout se passe ‘divinement’ …

Pas de bus ni même de voiture de location. Il doit être 10 heures. Le soleil brille, il n’y a pas de vent. Je gare le Sym sur le petit parking à la vue imprenable sur la mer au bleu profond, et emprunte le chemin aux larges marches qui monte au monastère, d’abord masqué par un pan de falaise. L’absence d’autres visiteurs permet de faire le vide dans son esprit, d’aller à son rythme, de  s’arrêter ou pas… Ce, pour dire que ce n’est pas une simple fixette d’agoraphobe un peu caractériel!

     

En haut un ouvrier ponce les montants d’un panneau d’informations vitré sous le regard du supérieur du monastère qui semble ne parler que grec. Je lui demande si je peux visiter sans déranger, et il appelle Panayiotis qui est entrain de passer l’aspirateur à l’étage. L’entrée est très basse, blanche entourée de pierre sculptée, en haut d’un escalier étroit et raide. Bien sûr pas de photos.

L’escalier continue à l’intérieur comme dans un château du moyen-âge, et aboutit à une chapelle qui semble être le lieu de culte principal; à l’étage  il mène à une sorte de salle étroite avec quelques ouvertures sur la mer qui sert parfois de lieu de réunion; et à un grand bureau aux murs remplis de photos de popes du passé. Difficile de ne pas remarquer le riche trône d’ivoire et d’ébène sculpté de plusieurs lions. Les pieds du fauteuil sont des pattes de lion aux griffes d’ivoire. Panayiotis me dit que c’est  un cadeau d’Hosni Moubarak.

Il me fait asseoir sur une banquette rouge et m’offre eau, loukoums, biscuits et un verre d’un liquide peu alcoolisé parfumé à la canelle et au girofle fait par les moines; sans doute pas sur place car il n’y a que le pope et les deux hommes que j’ai vus. Panayiotis est présent, agréable, et généreux de son temps. En été les visites se succèdent et l’occupent j’imagine à plein temps. C’est moi qui mets fin à la conversation pour le laisser travailler, mais j’aurais pu lui poser mille questions jusqu’à midi.

Le monastère aurait été fondé dans sa forme actuelle en 1088 par des moines venus de Palestine afin d’abriter une icône miraculeuse de la Vierge  rejetée par la mer.  C’est lui qui m’apprend qu’une des raisons de sa construction fortifiée était la menace récurrente des pirates; d’ailleurs le monastère n’est blanc que depuis les années 1880. Avant il se fondait dans la falaise et était peu visible du large.

Quand je redescends après l’avoir chaleureusement remercié son collègue passe du vernis sur le panneau et un couple de touristes arrive pour visiter.

EGIALI ET LE NORD :

 

Juste quelques photos… Superbe, différent, montagneux, des sentiers bien balisés partout, avec des petits villages perchés façon Corse et un tourisme familial qui peut attirer randonneurs, inconditionnels de la plage, campeurs, et amoureux de la nature. J’ignore à quoi cela peut ressembler l’été.

   

Mais j’abrège, demain je quitte Amorgos,.. pour Lévitha, île à l’Est idéalement placée sur la route du Dodécanèse, sur laquelle je ne sais rien.

AMORGOS : L’ILE MERVEILLEUSE

Beau temps; levé tôt, et décidé à louer un scooter! … Hélas ça ne s’annonce pas bien du tout: allées et venues de bus, gros bateaux de croisière dans la baie …  où que nous allions nous ne serons pas seuls. L’idée même d’arriver à la CHORA d’Amorgos ou au monastère d’Hosoviotissis avec une escorte de seniors en classe ‘découvertes’ me donne envie de fuir. Mais je loue quand même le Sym (c’est la marque qu’on trouve partout) pour deux jours. On verra bien.

Dernier café avec Chantal dans le petit salon de thé de charme qu’elle a déniché sur le port; le patron, roumain, parle français. Comme l’employé sénégalais du ‘rent-a-car’. A peine nous disons-nous au-revoir que déjà leur voilier  s’éloigne sur la route de  Naxos. Bon vent Vinarius!  

Un quart d’heure plus tard je roule vers Kalotaritissas à l’ouest, où nous avions jeté l’ancre l’an dernier par gros vent.

KALOTARITISSAS :

       

Je renoue avec les paysages que j’avais tant aimés, et roule sans m’arrêter, remettant  les photos à plus tard, convaincu de ne jamais parvenir à faire rentrer Amorgos dans mon téléphone. L’Iphone?.. J’ai déjà fait dix kilomètres quand je m’avise qu’il n’est dans aucune de mes poches! Ce n’est pas vrai ! je vérifie cent fois par jour que je l’ai sur moi! une vraie névrose! .. Mais ma poche est ouverte… (je vous assure que  ce n’est pas un procédé d’écrivain raté pour entretenir le suspens). Demi-tour. L’étui est rouge, ce n’est pas par hasard…

Je le retrouve par terre au dernier endroit où j’avais consulté la carte. Pffff !

 

Je reconnais le champ de l’an dernier à son panneau ‘à vendre’, l’épave de l’Olympia, l’anse aux eaux turquoises,  son  bar de plage encore fermé. Les bateaux de pêche sont à sec pour l’hiver. C’est juste beau. Sur le retour la ‘baie du Paradis’;  au-dessus  un monastère avec de nombreuses fenêtres sur une vue inépuisable.

 

Plus loin je m’aperçois qu’un des bateaux de croisière vient de quitter la baie. Essayons de visiter la Chora, si la foule est repartie …

LA CHORA :

Comment peut-il exister des endroits aussi beaux? Non seulement il n’y a personne, mais contrairement aux Choras mercantiles des Sporades ou d’ailleurs, rien n’est là pour faire joli. Je vais de surprise en surprise. Chaque pas est un pas vers le bonheur. Les gens sont gentils, accessibles; je ne remarque pas cette  défiance latente que l’on  ressent assez souvent en Grèce. Etranger … On s’y fait bien sûr. Comme on se fait au poids d’un sac.

   

     

Et je fais là deux belles rencontres.

La première sur la place, d’une jolie guide avec qui je parle longuement de la Grèce, des autres îles, d’Athènes ou elle vit, d’Istanbul … Comme le temps passe vite quand on parle la même langue… “Il suffirait de presque rien peut-être dix annéees de moins”… disons  vingt!    “Vraiment de quoi aurions-nous l’air?..”

La vie a de drôles de distractions.

Et la seconde un peu plus bas dans un petit ‘estiatorio’ (restaurant) ombragé où je mange d’excellentes ‘favas’, un couple plus âgé qui vit en Australie, la dame est née ici. Un peu de grec, beaucoup d’anglais … Le temps s’est allégé, il ne pèse plus rien.  Aujourd’hui qu’il fait bon être à Amorgos!

Demain j’irai voir ce monastère, qui est sur toutes les cartes postales. Mais dès à présent un nom me viendra naturellement quand on me demandera comme souvent: “et vous, c’est laquelle votre île préférée? Je ne le dirai pas à tout le monde. Car le monde tue la vie.

Oui je suis tombé amoureux. Rentré au bateau, je me suis endormi sur la banquette du carré, saturé, épuisé de beauté. Cette île est une merveille.