Par où commencer?
Vathy, peut-être?: saison-1
Arrivé le 20 septembre. Vathy est remplie de bateaux de location majoritairement loués par des anglais in ‘hollidays’… Cette surfréquentation touristique, enlaidit, dénature, et fausse tout: manoeuvres de port, mouillages, relations entre les gens… Car les ports d’Ithaque sont de petits ports, de petits villages, il n’y a pas grand chose à faire ou à voir. Les gens d’ici me semblent assez démunis face à ces nouveaux envahisseurs. Que faire avec eux, pendant trois mois, à part de l’argent puisqu’ils ne comprennent plus que ça:
Je suis un loueur: si je loue 10 bateaux dans le port, je gagne 20000 euros; si j’en loue 100 j’en gagne… dix fois plus! Si un port dispose de 100 places, et que j’en ai loué 80; il y a 20% de cette manne qui m’échappe … Mais si je louais toutes les places je gagnerais… encore davantage! Donc poussez-vous que je m’y mette!
Un jour, après avoir rêvé de Grèce à l’école, étudié sa pensée, sa mythologie, son théâtre, lu maint récits de voyages, et de livres de mer, de Gerbaud à Janichon , des éditions Arthaud, d’Antoine… un jour donc on finit par acheter son bateau. On n’arrive pas tout de suite à Ithaque; il en faut du temps, de la peine, avant de pointer son étrave dans cette belle baie.
Aussi quand on s’approche du quai principal bondé, bruyant, inaccessible, et qu’on n’entend quasiment pas parler un mot de grec, on se dit qu’on s’est trompé de destination, que si Moitessier revenait, il serait pris pour un plouc par la moitié de ces guignols.
Pourquoi venir de si loin pour retrouver ce qu’on connaît déjà?
Bientôt il n’y aura plus que des bateaux de loc: on nous chassera comme partout à coup de normes, de sécurité, de places privées, de promiscuité inculte et braillarde… on nous fera mouiller par 50 mètres de fond, sans possibilité de faire ni eau ni gasoil, et musique techno sur chaque plage du coucher au lever du soleil, oui… on va vers ça :
.. un monde où tout se ressemble.
ITHAQUE: saison-2
Et puis un jour, le 23 peut-être, ils sont partis, comme un nuage de sauterelles. Tout d’un coup, comme ça…
Et ça a tout changé.
Les gens se remettent à parler grec, à sourire, à rigoler; on m’explique comment se mangent ces espèces de gros haricots que je n’ai pas encore goûtés… Mais tout ne redevient pas vraiment pareil qu’avant … à commencer par le coût de la vie !
Si Vathi, ou plus encore la jolie Kioni ou le charmant tout petit port de Frikes, ne sont pas adaptés à cet afflux annuel de locustes, leur départ leur restitue le charme qui a fait leur notoriété.
J’ai raté mon premier mouillage méditerranéen à Kioni. J’ai eu le temps de manger, mais il n’aurait pas tenu la nuit. Alors j’ai trouvé une place le long du quai intérieur de Frikes; de justesse. Car une espèce de clysopompe m’a grillé la politesse au moteur en prenant l’avant-dernière place à quai. Solidarité entre nouveaux marins…
Le vent porte contre le quai. Pour sortir demain il faudra se lever tôt.
Levé tôt, le vent vient bien du quai, pourtant je ne pars pas; pourquoi ne pas profiter de cet amarrage sûr pour aller jusqu’à Stavros, la patrie d’Ulysse?
Quel bonheur de s’élever à pied, pas après pas dans la campagne grecque. Vue dégagée sur deux puis trois mers… Cette île est admirablement proportionnée, harmonieuse, attachante.
Bon, le village de Stavros est un chef-d’oeuvre d’accueil approximatif. Maquette de la Maison d’Homère/Ulysse sur la place en face de l’église, balisage mal foutu, renseignements minimalistes au musée, site archéologique excentré… La raison en est simple je crois : les gens ont enfin compris ce que pouvait signifier pour eux l’exploitation d’un site hellénique majeur (après Agamemnon, Ménélas, Nestor… le palais d’Ulysse!) … et protègent leur tranquillité. Il est plus facile de faire rentrer le serpent dans sa boîte que de l’en faire sortir!
Mais quand même quelle trouvaille que ce nom d'”Homer School”!… Circulez il n’y a (presque) rien à voir.
Me voilà donc réconcilié avec Ithaque. J’aime cette île. Elle a tout pour elle. Sauf peut-être de l’eau en quantité. Saint-Tropez a pu ressembler à ça.
Quand les gens se connaissaient et se parlaient en provençal. Avant l’argent roi.
Unfortunatly le mois de septembre s’achève, et je ne parle toujours pas grec.
(Photo d’une source en contrebas, de l’autre côté de la route..
.. et quelques objets du musée dont beaucoup proviennent de “la grotte d’Ulysse” située beaucoup plus bas à l’ouest, au niveau de la mer, objets
d’offrandes aux dieux. Mais la grotte s’est depuis partiellement effondrée, a subi des pillages, et je n’y suis pas descendu).