RACONTE-MOI KRIONERI…

Ormos Oxia, immense baie où tout le monde s’arrête avant ou après la traversée du Golfe de Patras, à moins que ce ne soit MISSALONGHI, ville lagunaire situé au bout d’un long chenal étroit dragué à 8 mètres,  flanqué de maisons de pêcheurs sur pilotis, et d’oiseaux de mer (cormorans, goélands, pélicans..) … qui parfois ont pied!

 

 

Le port est quelconque. La ville pas désagréable, mais les courses faites rien ne m’y retient. J’ai repéré un petit port à l’Est,  un peu à l’écart; il s’appelle KRIONERI (les eaux froides). On est le 6 octobre, et le 8 je dois récupérer mon 1er équipier, Bernard, à Patras, juste en face. L’après-midi est déjà bien avancé, mais c’est une affaire de 15 milles, allez, 4 heures, en comptant la traversée du chenal à 3-4 noeuds au moteur dans l’autre sens,  puis, une fois sorti de la zone limoneuse qui déborde largement la côte, on envoie les voiles par un petit vent de 10 noeuds dans le bon sens, mais qui doit faiblir en soirée…

Le bateau file à près de 6 noeuds, toutes voiles dehors et on est tranquille comme Baptiste.

Quatre heures plus tard le vent n’est plus qu’un souvenir, on avance à moins de deux noeuds  voiles en ciseaux, il  reste cinq  milles à parcourir et il est presque 19h heure locale.

Autant dire que le temps de ranger et d’arriver je peux faire une croix sur la taverna, s’il en reste une ouverte en cette saison…   Enrouler le génois, affaler et ranger la grand-voile, les écoutes, la drisse, allumer le  moteur. Puis les préparatifs d’amarrage ET de mouillage, car le quai public est très petit,  il n’y a de place que pour deux-trois bateaux tout au plus. Jumelles.

Imagine :

Le vent, le soleil et le soir tombent, synchrones. Tu allumes le feu en tête de mât; puis c’est la nuit. La lune, à peine décroissante n’est pas encore levée. Feux de route vert et rouge. Le bateau roule doucement. On ne distingue d’abord que les lumières du port.  Puis des bateaux de pêche le long du môle unique perpendiculaire à la côte. Ne pas oublier de guetter les filets. Pas de voilier en face, sur le court quai public.  Ce sera un amarrage, de nuit, solo, tu ne l’as jamais fait, mais tu as confiance; tu as une aussière à chaque pointe, plus une longue garde qui court entre les taquets avant et arrière, avec du mou pour pouvoir sauter à terre et contrôler les deux bouts du bateau, plus des pare-battages sur tribord, côté où tu vas atterrir … reste à savoir s’il y aura de quoi s’attacher. Pas de casier, pas de débordement rocheux, un oeil sur le sondeur, un sur le traceur… Impression soudaine plus nette du port, des distances…

Et tu arrives. Dans le silence du soir.

Il y a au moins une bite d’amarrage; des bidons qui flottent à tribord. Ne pas aller plus loin que le bout du quai, il y a un récif. Arrondir… pas trop tôt… pas trop tard.. petit coup de barre.. surtout que la manette des gaz soit au neutre.. un couple te propose gentiment de l’aide, mais tu es déjà sur le quai avec la garde dans chaque main; Ponyo brille de toutes ses jolies lumières. Au fond tu sais que ça n’était pas si difficile; ça n’en est pas moins beau.  Le reste, régler les aussières, les passer en double, une garde, éteindre feux et instruments… tu as toute la nuit.

Pour le moment, tu es heureux. C’est juste le temps du bonheur.

La taverne est éclairée. Les “crevettes saganaki” seront délicieuses. La lune s’est levée; il fait doux; et la falaise verticale après ces paysages d’estuaire, nous porte à élever notre regard.

Il y eut une nuit et il y eut un matin…

Il y a des endroits dont on a du mal à s’arracher. Krioneri en est un. Le village, si l’on est objectif ne casse rien. Petit port sans commerce. Des maisons. Une petite station balnéaire qui doit être remplie l’été, plages et parasols, maisons secondaires, mélange de vieux et de jeune, des parcelles d’arbres détruits par le feu…

Mais un site d’une grande beauté, qui n’est pas surexploité touristiquement. Et un joyau, comme j’avais déjà découvert avec émerveillement qu’il en existait ailleurs que dans les livres de Verne ou de Defoë, en Italie, à Cefalù  et à Syracuse… une source à fort débit tout près de la falaise Est, en bordure de plage… “et l’eau était si claire que je m’y suis baigné… il y a longtemps que je t’aime jamais je ne t’oublierai…”

Et je m’y suis baigné. C’est très étonnant: j’y suis venu à la rame avec les palmes le masque, le tuba… L’eau (de la mer) est encore à 27 degrés, peu profonde, et je me suis dit en nageant vers la rivière qu’elle allait devenir de plus en plus froide. Puis je me suis aperçu en nageant le crawl que seuls mes bras avaient froid. Qu’il suffisait de nager sous la surface où surnage l’eau fraîche, question de plus faible densité de l’eau douce, je suppose…

… et j’en ai profité pour me laver les cheveux à l’eau de source 🙂

Seule déception: on ne voit pas les poissons sur les photos de la rivière!