– RETOUR A MYTILINI :
Ali part le 26 et j’aimerais bien le revoir; idem pour Chantal et Markus de Vinarius qui arrivent le 28. Et quelques petits travaux seraient les bienvenus: 2ème moitié de l’entourage des fenêtres en bois, “checking” des injecteurs, réparation d’un gousset de latte décousu sur la GV qui risque de s’aggraver… Se décider pour l’endroit où hibernera le bateau début décembre (Aegina)…
(Lagkada: difficulté d’amarrage imprévue: supports de poulpes à hauteur de filières!)
Voile et moteur depuis Chios-marina, vent de nord-ouest modéré, je vais mouiller à Inoussès. Le mouillage est encombré de gros yachts à moteur avec leurs “lignes de rivage”. A la tombée de la nuit leurs équipages détachent les aussières des rochers. Leurs annexes font parfois presque la taille de Ponyo. Etoiles et nuit sereine.
Le lendemain nous sommes de retour à Lesbos.
Le “town quay” de Mytilini n’a pas changé mais il est presque vide. Encore quelques plaisanciers turcs… des bateaux de croisière…
Les fenêtres seront terminées dans 10-15 jours. Le “mechanist” doit passer. Je descends la GV de sa bôme pour le voilier, le “sail maker”… Tout semble aller pour le mieux …
(la petite plage – avec douche – où je vais nager un peu tous les jours 🙂 )
… quand, en sortant d’un magasin j’entends un ‘bling’ téléphonique dans la sacoche. Je l’ouvre : ma carte bleue n’est pas là où elle devrait, à côté du téléphone. Ni dans mes poches, ni sur le trottoir (j’ai fait 30 m) ni dans la boutique. Et c’est le moment que choisit internet pour bogguer…
Opposition, banque, consulat, Westernunion … journées pendu au téléphone. Il me reste 25 euros.
Sur les dépliants des banques la vie est simple et tout est fait pour votre sécurité de consommateur Premium. Dans la vraie vie la ligne dédiée à votre carte est délocalisée en Egypte ou en Tunisie, votre interlocutrice a une empathie de parkmètre, on est vendredi l’agence de votre village ouvre mardi, et avant de comprendre la raison du dysfonctionnement d’Orange on vous dit que les JO ont fait exploser votre capital-gigas mais que pour en racheter… Quant à la carte Sim du forfait à 2 euros de Free c’est une Très mauvaise idée: deux jours après, juste pour les mises à jour, applications restées ouvertes et autres impératifs de fonctionnement je leur en doit déjà 40 !
Je vous la fais courte et heureuse: une semaine après la police retrouve mon Port-Folio (en Grec) avec Visa, Vitale, permis bateau etc… ET 200 euros en espèces que la dame qui a ramené le tout au commissariat n’a pas touchés… Elle ne veut rien. Elle dit que c’est juste normal… Il n’y a pas que la loi de la jungle et des séries américaines. N’empêche, ça fait du bien …
Enseignement de tout ceci: voyager avec suffisamment de liquide. Prévoir une CB virtuelle sur smartphone si l’idée d’enregistrer vos empreintes ou votre photo à des fins de reconnaissance faciale ne vous heurte pas. Le dépannage-cash de Western-union (service Visa) marche bien. En l’absence d’adresse d’hôtel ou de marina, il existe un système de “poste-restante” – en français dans le texte – dans la plupart des pays (le consulat a refusé de me servir de boîte à lettres provisoire).
Lorsque j’expliquais au “wood-maker” que ma carte était perdue ou volée et que je ne pourrais peut-être pas le régler en espèces, il m’a répondu: “Perdue, plutôt… volée je ne crois pas”. Il y a peu de vols dans les îles; surtout grecques; surtout dans le nord-est. Ce n’est pas une raison pour discuter avec un vendeur aimable tout en fourrant sa carte dans la poche machinalement au lieu de la ranger avec attention dans sa sacoche . Sans CB, sans portable, ou sans papiers … l’aventurier n’a plus si fière allure !
(sur les hauteurs de Mytilini un théâtre de 120 m de diamètre qui était visible du large. Les gradins ne sont plus en place mais le lieu reste remarquable)
– SOLITUDES ET RENCONTRES :
Il y a plusieurs types de solitudes, comme de rencontres. Certaines ne sont que des bulles éphémères, certaines reviennent aux moments les plus inattendus, certaines semblent signifier quelque chose pour vous; d’autres pas. Peut-être jouent-elles un rôle dans le destin de quelqu’un d’autre. Un mot change une vie, un papillon…
La solitude peut être une chienne vorace.
Seuls?.. nous sommes seuls. Nous le savons; nous faisons tout pour l’oublier. Quand bien même avons-nous quelques amis, aussi mortels que nous le sommes. Leur solitude est la même. Seule notre façon d’être, avec ou contre, diffère. Enigmatiques à nous-mêmes nous sommes, jeune padawan … Que dire de ceux que nous croyons le mieux connaître?
Alors bien sûr ce n’est pas ‘Into the wild’ ou la Cabane en Sibérie. Encore moins ‘Construire un feu’ de London, ni même Crusoë … Mais elle est là. Elle attend le moment de faiblesse pour fondre sur sa proie. La plupart du temps il nous est difficile de l’apercevoir tant notre esprit déborde de stratégies: faire, parler, se sentir indispensable, mener sa vie, croire, aider les autres, apprendre, se divertir…
On lui échappe difficilement à bord, cette si parfaite unité de temps, de lieu, d’action ou d’inaction. Est-ce le vrai but du voyage? Existons-nous en marge des autres, davantage, différemment ou moins? Ou tout n’est-il décidément qu’illusions; que conventions?
Il n’y a pas de réponse universelle; et elle est d’abord culturelle. Déni, fuite, dépassement, effet de groupe… chacun filtre le cosmos avec le tamis hérité qui lui est propre, qu’il soit baleine ou qu’il soit moule, plancton, poète… Même si pour ma part je doute qu’il y ait seulement deux atomes semblables.
Les rencontres, forcément brèves et superficielles n’en sont pas moins intenses. Nous rencontrons qui nous rencontrons. Non pas qui nous choisissons de rencontrer. Même si notre instinct arbitre, nos critères sont plus flottants. Nous nous intéressons aux gens sans nous arrêter à tel ou tel aspect prétendument rédhibitoire. Parfois c’est l’autre qui nous rencontre, comme Panayiotis dans sa taverna, qui ne met pas de barrières ainsi que tant de grecs le font sans parfois en avoir conscience, Evgenia la jolie la serveuse qui rêve ‘d’aller d’île en île de faire ce que tu fais’…
Ou Dorian, ce jeune normand de 23 ans qui explore les Balkans, la Turquie en vélo et en kayak pliants, l’un portant l’autre selon que la route est solide ou liquide, Aymeric le lillois, avec lequel je revis quasiment la même scène quatre jours plus tard: “vous êtes français?”..
(Aymeric)) ., ou encore Alper et Aysun rencontrés via Ali à la marina….
Sans doute suis-je resté marqué par mes années de stop en Scandinavie. De citoyen d’Europe, sinon du monde…
Je me suis amarré cul-à-quai, au quai de la ville de Mytilini. Les grecs défilent le soir, à la fraîche, en famille, en couple, en bandes, avec un(e) ami(e), un chien, une canne, un landau… Ils investissent les murets, ils profitent de la douceur avant les premiers excès musicaux des bars et des boîtes de nuit.
Ce sont eux en fait qui réveillent mon sentiment de solitude. En navigation, entre action et contemplation, elle peine à s’installer. A terre, elle réveille les mémoires de la jeunesse, de la vie amoureuse, familiale, amicale. Mais elles sont sélectives. O combien de soucis, de frustrations de liberté dans le travail ou dans le couple? de rêves douloureux de voyage en voilier, d’aurores aux pieds légers, d’entrées dans des ports inconnus d’îles à découvrir, d’appareillages au petit matin … ce que je vis! La solitude peut être une grosse menteuse, sans aucune vergogne.
Elle est révisionniste. Elle nous mène par le bout de nos peurs.
Mais elle nous en guérit.