UNE JOURNEE EN MER

.                                                        (harmonie in blue)                                                           .

‘Quand tout le monde aura un bateau, personne ne pourra plus aller nulle part!’. Je me réveille à 6h, morose, avec cette phrase en tête après une nuit bercée par un peu trop de houle (qui a dit “et de whisky”?…).

C’est fou ce qu’un bateau peut être bruyant quand il remue : eau des tanks, retours des drisses dans le mât, contenu des coffres, grincements des boiseries…  Après tous ces jours à quai la mer me rappelle qu’elle raidit, qu’elle rince, qu’elle use, qu’elle rudoie …

  

Je quitte la crique avec le soleil levant. Sans avoir aperçu le phoque qui y a paraît-il élu domicile.  Le vent dort encore. Un deuxième café pour( le) réveiller. Il n’y a personne;  la vue porte loin. Le soleil chauffe déjà. Un voile de pollution d’un ou deux degrés sur tout l’horizon ne diminue pas le bonheur d’être sur l’eau, à écouter le ronronnement du moteur, le piaffement des voiles vides..  le bonheur de courir librement avec Ponyo dans une jolie lumière, avec rien qui dérange.

Toute la bigoterie de Daniel Defoë dans son  Robinson n’enlève rien à l’acuité de ses propos sur la chance imméritée que nous avons d’exister,  là, dans la main  de la providence, sur la peau vivante de la mer salée  aux prémices d’un jour nouveau.

Allez le vent réveille-toi, on ne va pas rester au moteur jusqu’à  Tinos!

50 milles représentent 10 heures de route à 5 noeuds,.. Il est déjà onze heures.  Eole s’anime à peine. Je sors le spi asymétrique, rentre le génois, conserve le moteur, jusqu’à ce que nous dépassions enfin les 6 noeuds, pour 9 d’un vent d’ouest nord-ouest.

  

A 13h j’aperçois Andros, Tinos et Mykonos pourtant distantes de 30 milles. Le vent est établi, constant sans jamais vraiment excéder les  10 noeuds, mais nous serons toujours autour de  6 quasiment jusqu’à notre destination.

 

Mettre le moteur, affaler les voiles, préparer les pare-battages, le mouillage, les aussières, libérer l’ancre, brancher et tester le guindeau,  régler la VHF sur la fréquence du port pour se faire indiquer une place car il n’y a pas de mouillage autorisé à proximité. Le vent doit tourner sud en soirée, rester sud le lendemain, dimanche,  et surtout repasser nord  fort lundi. Pas simple. D’où ce choix de gagner le port.

 

 

Appel radio, pas de réponse,  mauvaise liaison,  difficulté à comprendre le gars du port, 7h, le soleil se couche, les feux d’entrée ne sont pas encore allumés… et soudain…  nous touchons un haut-fond! : j’ai tourné trop tôt!  je suis échoué! Merde, merde, et re-merde!

Je remonte la dérive, plutôt bon signe.. Machine arrière… rien! on est coincé. Répondre au gars du port, chercher à faire gîter le bateau, écouter les pêcheurs qui me disent de rester là au cas où il y aurait un trou dans la coque… c’est vrai je n’ai pas regardé s’il y avait de l’eau dans les fonds!… débarrasser la cabine tribord pour atteindre la cale, le vélo, les voiles, les coussins, les planchers …

… et c’est probablement toute cette agitation qu libère Ponyo!

Entre temps un bateau a été appelé au cas où il y aurait besoin d’un remorquage, les garde-côtes… et je rentre au port escorté comme un empereur romain;  la Police Portuaire appelle un  plongeur pour savoir si je ne risque rien à rester à bord, m’interroge sur mes pompes de cales, oui, elles sont en état, oui, deux électriques et une manuelle… oui je suis seul à bord… non seulement  le chef des coast-guards pose les bonnes questions mais en plus il m’amène une bouteille d’eau… la Grèce!..  tout le monde est adorable; je crains juste de les avoir inquiétés dans mon anglais approximatif.

Le plongeur remonte; il y a juste ‘a scratch’, une éraflure (le lendemain matin je plongerai pour constater qu’elle se limite au gel-coat, la résine en-dessous n’étant  visible nulle part).

Je demande au remorqueur qui s’est déplacé combien je lui dois. Il ne veut rien. Il dit qu’il est marin et qu’un jour ça peut lui arriver. Le plongeur non plus! Mais, insisté-je,  j’ai dérangé tout le monde, c’est moi qui ai fait la ‘mistake’, ‘it’s my mistake’!, .  “C’est comme ça..  ça s’est passé, c’est ainsi”

Après… Après la Police me demande les papiers du bateau; et elle les garde. Le lendemain je comprendrai que je dois solliciter de mon Ambassade  un “certificat de navigabilité”, qu’en attendant le yacht Ponyo, c’est la procédure,  est interdit de navigation (ça tombe bien mes amis Pierre et Claire arrivent le 6 à Paros!),  qu’il faudra une expertise, qu’il n’y a pas d’expert dans l’île, ni même de moyen de levage du bateau….  bref, une autre aventure commence!

(photo d’Agnès, de “Mistral  Gagnant”)