LEMNOS

Une grand île un peu à l’écart pour attendre une météo propice pour la remontée des Dardanelles, couloir dans lequel s’engouffre le vent de Nord-Est depuis Istanbul et la mer de Marmara.

Temps gris, vent d’Est, froid. Quelques photos pas très belles depuis le fort d’où la vue doit être magnifique par beau temps… Chevreuils, brebis à poils longs étonnantes et vieilles pierres turques…

LE PORT :

          

(baie côté Est…)

      

(… et Baie côté Sud, de l’autre côté du fort Ottoman et des brebis laineuses. Le bâtiment est une poudrière, enterrée pour la soustraire aux canonnades; les allemands ont repris l’idée en 1940 en maçonnant de nombreuses grottes naturelles)

BALADE DANS L’ILE :

Location d’une voiture avec Chantal et Markus. Même attirance pour les paysages sincères et beaux, pas forcément grandioses, les cafés où l’on parle à peine anglais, la gentillesse des gens… Il y a tout cela à LEMNOS qui est encore très rurale; plus d’habitants dans les campagnes qu’à EVSTRATHIOS, et dans les zones plus fréquentées même défiance envers le “tout tourisme”. On sait où ça commence… Pour l’instant quelques hôtels de plage; de nombreuses baies ne sont pas “aménagées”.

   

(tank abandonné et monastère silencieux…)

(… plage et embouchure, mouettes et bois flotté)

      

       

(théâtre en bord d’étang et tableau de Monet…)

LEMNOS ? : surtout n’y venez pas: vous vous y ennuieriez !

AGIOS EVSTRATHIOS, SUR LA ROUTE DE LEMNOS

Avec l’abandon du projet initial Nord Egée,  Mont Athos, Samothrace… il faut bien trouver une autre cohérence dans la suite du voyage. EVSTRATHIOS sur la carte, est une petite île perdue, rugueuse, peu attractive, à 40 MN de la dernière des Sporades, à 20 de LEMNOS. C’est l’île anti-touristique par excellence! Petit port bétonné, quelques vieilles maisons, quelques rues “carrées” plus récentes et sans trop de charme.

Le trajet est long, j’ai pris du retard, j’arrive la nuit, après un seul bord vent travers à 6,5-7 noeuds avec un ris! PONYO est sur un rail, et heureusement car la mer est encore un peu formée après le coup de nord des jours précédents.

A presque 22h la taverna accepte de me servir et je suis accueilli dans ma langue par Nikos, un chirurgien gréco-suisse d’une grande courtoisie, et son fils Panayiotis,  polytechnicien diplômé de Lausanne .. La seule  autre table est occupée par une dizaine de lyonnais! Je dévore! Pour une fois il y a de la raie (en friture) et aussi de la purée de fèves et du Krassi (vin) Aspro (blanc).

Le lendemain, mes amis suisses de VINARIUS, qui ont également changé leurs plans, accostent en fin d’après-midi. Eux aussi affectionnent les lieux sauvages épargnés par le gros du tourisme. Alors pourquoi ne pas rester un peu plus, aller marcher.. d’autant que le soir Panayiotis nous conseille une belle balade sous les chênes dans le nord-est de l’île?

      

       

    

4 heures de marche dans le vent sur les hauteurs; quatre heures de bonheur! La population de l’île, 150 personnes environ, est concentrée dans le port. Quelques fermes dispersées comme celle d’Odysseas et Antonia, qui arrêtent leur pick-up à notre hauteur quand nous redescendons; à l’arrière, des bidons de lait de brebis qu’ils apportent au bourg pour la fêta. Travail, vie rude, solitude, rêve d’une existence plus facile. Vue de notre côté gens bien vivants, lumineux et amicaux. Mais qui de nous supporterait leur mode de vie sur ces hauteurs, dans cette petite île au milieu de la mer Egée, malgré le Ferry, internet peut-être, et le soutien sympathique de cette petite communauté d’EVSTRATIOS?

Le soir à la taverna nous parlons avec Maria de l’île, des touristes, de l’école, des enfants. Seule taverna d’EVSTRATHIOS;  où il faut assurer pendant les mois de juillet-août, où les visiteurs stressés d’Athènes ou d’ailleurs auraient tendance à demander à ce petit territoire plus qu’il ne peut donner; et à repartir dès le lendemain… : “ah, il n’y a que ça à voir?..”. Tout le monde n’est pas à la retraite, tout le monde n’est pas disponible.

Aussi quand Maria nous demande ce que nous voulons manger et que nous lui répondons “ça dépend, qu’est-ce que vous avez?”, prend-elle le temps de nous parler un peu d’ici. En saison ça ne lui sera plus possible: les clients arrivent jusqu’à 23h et elle a quatre enfants.

 

(petit souvenir déposé par un inconnu, que nous trouvons au matin dans le cockpit de nos bateaux: des roses de jardin, divinement parfumées!)

KYRA PANAGIA, BAIE DE PLANITIS. HORS DU MONDE.

Retour vers les Sporades. Les îles au nord d’Alonissos sont protégées, à des degrés  divers qui vont de l’interdiction de mouiller à celle d’y poser le pied, voire d’en approcher.        Retour plus laborieux depuis SKYROS car le vent du sud n’égale pas son collègue du nord qui nous transporta si bien à l’aller. Arrivée tardive, dans laquelle il m’est difficile de me replonger dans le concert d’équipiers slaves qui vient d’arriver en flottille au port d’ EVTRATIOS d’où j’écris. A KYRA PANAGIA, pas question d’utiliser l’ordi, le portable, l’AIS, la VHF… Rien.

(quelques signes avant-coureurs dans le ciel)

On a tous en tête les livres de Sylvain Tesson. J’aime cet auteur. Il y a en lui un peu du London, du Melville, du Defoë, Stevenson, du Verne, auteurs dont on ne se soucie pas de savoir si ce qu’ils écrivent est réel, ni même vraisemblable, mais qui on le talent de donner à croire. Ils osent se frotter à l’aventure. Ils dépouillent l’homme de ses artifices pour le confronter à sa solitude sans le priver de sa grandeur. Et cette grandeur réveille la nôtre.

Nord de KYRIA PANAGIA, baie de PLANITIS. Grande anse à plusieurs lobes reliés par une passe étroite. Protection totale de tous les vents. Aucun réseau. Aucun bateau. Bien sûr il ne fait pas moins 30  et je ne reste que quelques jours. Mais le vent mugit au-dessus de nous. PONYO rappelle sur son ancre dans les rafales. Trente noeuds, trente-cinq; peut-être plus. Nous ne reculons pas d’un mètre. Cela permet de dormir sans trop d’inquiétude.

D’ordinaire la solitude à bord est marginale. Beaucoup à faire; à prévoir: cartes, avis des autres navigateurs, météo, blog, téléphone, SMS… en plus de la logistique du bateau,  l’annexe à gonfler-dégonfler, la cuisine, les courses, la propreté, les escales, quelques rencontres, quelques leçons de grec… Je me dis bien de loin en loin qu’il serait temps de partager ce que je vis, ce que je vois, avec quelqu’un de réel… Et puis je n’y pense plus guère, accaparé par mon périple.

   

Ici je pourrais tout aussi bien être en Ecosse, en montagne. Il n’y a pas de distraction. Rien ne me distrait d’être là, aucune présence humaine, aucune musique, pas de radio, de podcast, pas de messages, pas de recherche de mot anglais ou grec sur G-translate. Pas de recherche du tout. A part le premier jour, pas de balades à terre, de photos. Il ne reste que le solide: livres, guitare, cuisine.. Je pourrais pêcher… mais c’est une réserve, et en plus je n’ai pas vu un poisson!

‘La solitude est l’hygiène de l’âme’. Je me rends compte à quel point le virtuel a envahi ma vie. Pourtant je n’ai jamais eu la télé; je ne ‘streame’ pas; n’ai quasiment jamais visionné une ‘série’: un fossile! Pour la première fois depuis que je suis parti je me dis que j’aurais pu amener une ‘playlist’.

Le matin le vent a faibli. Quelques rafales fortes mais espacées. Un peu de soleil. Je vais aller à terre..

… essayer de capter une météo récente sur les hauteurs. Envoyer, recevoir, un message ou deux. Puis planifier la suite: Mont ATHOS? .. mais les distances sont importantes et les mouillages rares. LIMNOS, SAMOTHRACE? Dans tous les cas ce sera minimun 40 milles par jour. Un vent du sud aiderait bien. Rester ici jusqu’à mardi?

Quel bonheur d’être dans un bateau à l’abri du gros temps. Quel bonheur aussi quand le vent cesse,  cesse un peu de vous user le cerveau avec sa plainte lancinante. Ce vent qui permet de voyager. Ce vent qui rend fou.

(Le mont Athos -qu’on aperçoit de partout en mer Egée du nord- ce sera de loin …  après les surprises à la remontée du mouillage! je comprends mieux pourquoi l’ancre tenait si bien!)    

SKYROS, UNE ILE A PART

C’est ici que la mère d’Achille, la divine Téthys, cacha son fils pour l’empêcher de partir à la guerre de Troie, et que le rusé Ulysse le trouva.

J’ai hésité à y aller. Il ne fallait pas . Du vent fort, des vagues, la distance … souvent la météo sous-estime les conditions … En réalité ça a été une navigation de rêve, à plus de 7 noeuds, avec 2 ris et un génois réduit d’une dizaine de tours, 18 à 25 noeuds de vent de NE comme annoncé, plutôt régulier, faiblissant autour de 16 en soirée, de belles vagues mais une mer plutôt ordonnée, Ponyo se régale et mouille assez peu, même si l’on n’est pas tout à fait au près.

On n’atterrit pas à SKYROS-ville, sur la côte nord, mais à LINARIA au sud, là où arrive le Ferry.  Personne à la VHF, nous nous mettons au mouillage jusqu’au lendemain où j’accoste au quai du port. Aide, bon accueil, douche, eau, carburant, wifi (“ouaï-faï”..  comme disent  les grecs)… ou comment joindre l’utile à l’agréable. Je loue même un petit scooter pour aller à SKYROS, et surtout à la Chora, le vieux village en hauteur. Et c’est vraiment très beau.

       

           

                       

Pas trop de monde, juste un attroupement en bas du château car c’est le  jour de la  procession en l’honneur de St Georges,  patron  de l’île, et l’occasion de faire connaissance d’ une charmante dame mi-anglaise mi-grecque avec laquelle je sympathise.

      

J’essaye d’échapper à la cérémonie mais je suis retardé par des motifs gravés  sur une voûte de l’église qui m’intriguent, puis par le sonneur de cloches, et la procession me rattrape;  je descends la rue au milieu des autres, retrouvant cette amie de rencontre, qui a connu SKYROS plusieurs dizaines d’années auparavant  presque sans maisons entre le village et la mer.  Bye bye Johanna, it was nice to meet you!

             

Le soir ouzerie dans un coin du port avec mes voisins de quai, des Suisses avec un beau Bavaria-42-CC qu’on confondrait presque avec un Hallberg-Rassy. Plaisir des rencontres!

Le lendemain re-scooter pour aller visiter la moitié sud de l’île, sauvage, pelée, battue par les vents… Chèvres, brebis, mouettes, abeilles, et quelques uns de ces chevaux indigènes robustes et assez petits, qu’ Alexandre le Grand, qui était plutôt de petite taille, aurait montés. L’île sent la résine (d’ailleurs l’odeur rappelle un peu celle de la résine de cannabis), la brebis, le maquis. Reliefs couverts d’une végétation basse battus par les vents et vue plongeante sur de belles anses désertes.

   

     

Oui, j’ai beaucoup aimé Skyros. Ce soir dans le port il y a davantage de bateaux. Plusieurs français. Musique grecque, un enregistrement d’un concert façon Fest-Noz . Le soir je mange chez Chantal et Markus tandis qu’à côté de l’ouzerie ce sont de vrais musiciens et chanteurs qui interprètent de la musique traditionnelle…

SKIATHOS, SKOPELOS, ALONISSOS… LES SPORADES, LES ILES DISPERSEES…

Temps gris aujourd’hui au mouillage. Pourtant le temps serait idéal pour se rendre à SKYROS, plus au sud, île plus à l’écart et plus sauvage. Mais on ne peut pas toujours courir d’île en île comme un cheval de Poséidon. Et si je visitais vraiment ALONISSOS? Mais reprenons dans l’ordre:

SKIATHOS:  la sans-âme

Depuis le départ certaines îles m’ont plu, d’autres moins. Celle-ci m’a déplu. Certes le lieu est beau, le village construit en hauteur, ruelles, escaliers, maisons plutôt jolies…

                

Mais c’est une des rares îles où j’ai trouvé les habitants antipathiques, anampathiques, maussades, renfermés sur eux-mêmes. J’ai déjà rencontré cette faune à Moustiers-Sainte Marie, Lourdes, Cassis, Arzon … toutes ces villes où, que vous soyez accueillants ou non, les gens reviennent, remplacés par d’autres, innombrables, comme les vagues sans fin de la mer touristique, qui submerge tout. Qui avilit tout. Ces “incontournables” des guides! “Que faire à SKIATHOS? Où prendre un verre? La plus belle plage de rêve? Où sortir? Où manger typiquement grec?”…  Mamma Mia!.. Ah non, ça c’est SKOPELOS!!

C’est d’autant plus perceptible dans cette avant-saison. Centaines de boutiques nichées dans le moindre recoin ‘authentique’  fermées ou en travaux, vendant à peu près tout ce qui peut se transformer en euros, vendeurs-euses l’oreille vissée à leur smartphone, rues sans vie…

 

 

( Tout-en-Plàstikos! )

 

Cela disparaît en juillet et en août, quand le flot des estivants envahit les rues, quand le nombre justifie le nombre, quand  les gens achètent parce qu’ils s’emmerdent et qu’il faut avoir ‘réussi sa semaine’. Retrouver les mêmes choses qu’ailleurs, manger les dix mêmes sempiternels plats de tavernas, se baigner dans les mêmes criques surpeuplées, prendre les mêmes selfies, louer les mêmes engins de plages…

A SKIATHOS il n’y a que ça, et le vieux-village, qui n’a rien de vieux du tout, et est loin d’être le plus joli à faire à pieds.

 

SKOPELOS:  l’intermédiaire

A SKOPELOS cette sensation ne disparaît pas mais s’atténue. Malgré le loueur de catamarans sur le grand quai Ouest qui attend que je sois amarré pour me dire qu’ici c’est pour les professionnels (le quai est quasi vide) et que je dois aller en face.. Les gens sont moins déplaisants. Je cherche en vains un petit bar sympa pour boire une bière, mais ils me rappellent tous les bars de SKIATHOS et je me laisse convaincre par mes pieds pour explorer le village en hauteur. Moins de boutiques, de  RB&B, de House Maria, House Pamela, House  Daniela.. bruits de disqueuse ou de bétonnière. Surtout un village vraiment beau, habité, et un point de vue magnifique tout en haut.

       

 

       

                   

Oui, ça vaut le coup de venir à SKOPELOS, hors-saison tout au moins. Le tourisme n’y a pas tout ruiné.

ALONISSOS:  la verte!

J’y arrive le Vendredi-Saint. Tout est fermé. J’ai  choisi de mouiller dans le petit port de VOTSI, à l’Est de celui de PATITIRI, la ‘capitale’. Mini port où l’on doit s’ancrer en portant une longue amarre à terre, il n’y a pas de place pour ‘éviter’ (tourner avec le vent autour de son ancre). Immobiliser le bateau, mouiller, calculer la distance à la falaise, gonfler l’annexe, charger l’aussière flottante, l’attacher à un rocher, retourner à bord, ‘wincher’ l’aussière jusqu’à ce que le bateau soit perpendiculaire à la falaise. Idéalement il en faudrait deux… Je me dis que je ne suis pas doué, et surtout très lent. Mais un Dufour grec arrive le soir avec plusieurs équipiers et leur amarrage dure jusqu’à la nuit, annexe et lampe frontale…

16h. Petit restau au-dessus, vue sur le bateau. Et je rejoins PATITIRI par la route. J’aurais pu y accoster au quai de la ville. Un voisin suédois de SKOPELOS y est le seul voilier. Calme. Impression de ville endormie. Peu de boutiques. Des restaurants. Il est 17 heures. Pas trop envie mais je pars ‘en repérage’ pour demain vers la Chora, le vieux village tout en haut, 4 km. Pour une fois j’aurais bien pris un taxi. Il n’y en a pas. Pas de bus non plus.

Et je me laisse gagner peu à peu par le charme de l’île. Cette île est belle! Je découvre une campagne boisée, des vergers, des oliveraies, des poulaillers, des maisons qui doivent être agréables à vivre… et j’arrive à la Chora. Pour la descente on verra bien… plus tard. Le vieux village n’est pas si vieux; ou alors tout en haut. Nombreuses maisons,  un peu carte-postale mais jolies, terrasses, ombrages, vieux arbres, chemins empierrés.  En haut quelques vieilles habitations, petites, couleur pierre, qui me rappellent certains hameaux de chez moi, dans l’Aude.  Point de vue sur les deux côtes Ouest et Est impressionnant. Mais TOUT est désert. Cela ne vit QUE pendant les vacances. Le touriste repart, la vie s’arrête.

       

         

 

 

Oui c’est triste, me dit la dame de l’auberge au retour au bateau. Plus de commerces; plus de vie à l’année. Elle a connu autre chose. Le soir une cérémonie pour la crucifixion (orthodoxe) du Christ avec procession et chants a lieu à PATITIRI, me dit un professeur d’anglais à la retraite. Mais je suis un peu fatigué pour y aller puis  rentrer de nuit à VOTSI.

 

 

Aujourd’hui blog et peut-être courses ou location et visite de l’île, selon l’humeur. Il semble qu’il y ait un joli port de pêcheurs un peu plus haut à STENI VALA. Une chose est sûre: je ne regrette pas de me fier à mon instinct. De ‘perdre’ du temps où mon envie me dicte d’en perdre. Même si cette façon de vivre hors tumulte, hors tempêtes, hors injonctions extérieures… n’est qu’une interprétation de la réalité. C’est une des différences entre le tourisme et le voyage.

 

( VOTSI: en saison les bateaux se touchent tout le long de la falaise)