KYRA PANAGIA, BAIE DE PLANITIS. HORS DU MONDE.

Retour vers les Sporades. Les îles au nord d’Alonissos sont protégées, à des degrés  divers qui vont de l’interdiction de mouiller à celle d’y poser le pied, voire d’en approcher.        Retour plus laborieux depuis SKYROS car le vent du sud n’égale pas son collègue du nord qui nous transporta si bien à l’aller. Arrivée tardive, dans laquelle il m’est difficile de me replonger dans le concert d’équipiers slaves qui vient d’arriver en flottille au port d’ EVTRATIOS d’où j’écris. A KYRA PANAGIA, pas question d’utiliser l’ordi, le portable, l’AIS, la VHF… Rien.

(quelques signes avant-coureurs dans le ciel)

On a tous en tête les livres de Sylvain Tesson. J’aime cet auteur. Il y a en lui un peu du London, du Melville, du Defoë, Stevenson, du Verne, auteurs dont on ne se soucie pas de savoir si ce qu’ils écrivent est réel, ni même vraisemblable, mais qui on le talent de donner à croire. Ils osent se frotter à l’aventure. Ils dépouillent l’homme de ses artifices pour le confronter à sa solitude sans le priver de sa grandeur. Et cette grandeur réveille la nôtre.

Nord de KYRIA PANAGIA, baie de PLANITIS. Grande anse à plusieurs lobes reliés par une passe étroite. Protection totale de tous les vents. Aucun réseau. Aucun bateau. Bien sûr il ne fait pas moins 30  et je ne reste que quelques jours. Mais le vent mugit au-dessus de nous. PONYO rappelle sur son ancre dans les rafales. Trente noeuds, trente-cinq; peut-être plus. Nous ne reculons pas d’un mètre. Cela permet de dormir sans trop d’inquiétude.

D’ordinaire la solitude à bord est marginale. Beaucoup à faire; à prévoir: cartes, avis des autres navigateurs, météo, blog, téléphone, SMS… en plus de la logistique du bateau,  l’annexe à gonfler-dégonfler, la cuisine, les courses, la propreté, les escales, quelques rencontres, quelques leçons de grec… Je me dis bien de loin en loin qu’il serait temps de partager ce que je vis, ce que je vois, avec quelqu’un de réel… Et puis je n’y pense plus guère, accaparé par mon périple.

   

Ici je pourrais tout aussi bien être en Ecosse, en montagne. Il n’y a pas de distraction. Rien ne me distrait d’être là, aucune présence humaine, aucune musique, pas de radio, de podcast, pas de messages, pas de recherche de mot anglais ou grec sur G-translate. Pas de recherche du tout. A part le premier jour, pas de balades à terre, de photos. Il ne reste que le solide: livres, guitare, cuisine.. Je pourrais pêcher… mais c’est une réserve, et en plus je n’ai pas vu un poisson!

‘La solitude est l’hygiène de l’âme’. Je me rends compte à quel point le virtuel a envahi ma vie. Pourtant je n’ai jamais eu la télé; je ne ‘streame’ pas; n’ai quasiment jamais visionné une ‘série’: un fossile! Pour la première fois depuis que je suis parti je me dis que j’aurais pu amener une ‘playlist’.

Le matin le vent a faibli. Quelques rafales fortes mais espacées. Un peu de soleil. Je vais aller à terre..

… essayer de capter une météo récente sur les hauteurs. Envoyer, recevoir, un message ou deux. Puis planifier la suite: Mont ATHOS? .. mais les distances sont importantes et les mouillages rares. LIMNOS, SAMOTHRACE? Dans tous les cas ce sera minimun 40 milles par jour. Un vent du sud aiderait bien. Rester ici jusqu’à mardi?

Quel bonheur d’être dans un bateau à l’abri du gros temps. Quel bonheur aussi quand le vent cesse,  cesse un peu de vous user le cerveau avec sa plainte lancinante. Ce vent qui permet de voyager. Ce vent qui rend fou.

(Le mont Athos -qu’on aperçoit de partout en mer Egée du nord- ce sera de loin …  après les surprises à la remontée du mouillage! je comprends mieux pourquoi l’ancre tenait si bien!)